Look at me – Témoigner pour Agir
Regarde-moi
Regarde-moi traite d’une des thématiques qui a le plus occupé les membres du projet : comment se détacher du regard de l’autre ?
La majorité des participantes souhaite, au début du projet, faire de « belles photographies », c’est-à-dire des photographies de paysages ou encore de portraits qui obéissent à des normes esthétiques et sociales, produites et informées par la sphère capitaliste. A l’instar de la compagnie Kodak qui, dans les années 1920, banalise le sourire devant l’objectif afin de vendre le maximum d’appareils photographiques, transformant le moment solennel de l’acte photographique en cérémonial familial et heureux, (voir D. Le Breton, Le sourire : anthropologie de l’énigmatique, 2022). Un beau portrait, c’est une femmes souriante, apprêtée et à « son avantage », souriant et posant de trois quart face à l’objectif de la caméra. Un débat s’engage sur le poids du regard et du jugement portés sur la femme et son image : quand est-on à son avantage et qui décide de ce qui est avantageux et de ce qui ne l’est pas ? Le processus consiste alors à réinvestir l’appareil photographique, vécu comme un outil patriarcal vecteur d’une vision figée de la femme, pour en faire un outil au service de l’émotion juste et vécue, qui existe dans un spectre varié de sentiments qui vont au-delà du bonheur d’un sourire arraché.
Cette série de portraits porte une réflexion sur les catégories bien souvent exploitées dans la photographie et les médias de « masculin » et de « féminin », dans une volonté de faire exploser les catégories sociales dans lesquelles on classe les femmes vulnérables et/ou en situation de migration. Un des fils d’Ariane dans la réalisation de ces portraits demeure l’idée de se montrer en situation de puissance. Cela n’exclue cependant pas des situations où le portrait révèle un visage de sincérité sur les expériences vécues. Ces moments de photographies représentent également une parenthèse enchantée et la mélancolie du temps qui s’arrête, permettant d’échapper l’espace d’un instant à un quotidien difficile voire insoutenable.
Poésies quotidiennes
Poésies quotidiennes traite, par un angle social et documentaire, de la lutte des femmes pour exister dans l’espace public et marchand, des stratégies qu’elles y déploient et des territoires qu’elles y arrachent. Ce travail photographique est vécu de l’intérieur, les membres du projet documente un quotidien qu’elles maitrisent et partagent, offrant ainsi de nouvelles représentations de communautés stigmatisées dans les médias. Les prises de vues traitent de la vie de femmes qui sont des amies, des sœurs. Cette sororité et proximité permettent de conserver une trace, une mémoire de communautés de femmes qui littéralement, ne peuvent exister dans une forme juste que par leur regard, et qu’aucun photographe, aussi talentueux soit-il, ne pourrait capturer.
Ce corpus permet une meilleure compréhension de la vie des femmes en situation de migration vivant principalement du commerce et des travaux domestiques qui sont délaissés en raison de la violence et de la maltraitance dont elles sont victimes, en addition d’un salaire dérisoire et souvent non versé ou versé partiellement par les employeurs. Les scènes de commerce dans la rue montrent les territoires créés par les femmes, l’organisation de leurs stands, la gestion complexe de leur commerce constitué de produits importés de leurs pays dont la communauté a besoin (épices, piments, arômes, condiments, poissons séchés, produits alimentaires, médicaments traditionnels, pommades, pilules, produits cosmétiques). Ces scènes démontrent également un système de solidarité très fort dans la mise en place de garde et de soin des enfants et des bébés durant le travail.
LOOK AT ME (LAM) met en œuvre des formations et résidences artistiques dans les villes de Casablanca, Rabat et Salé autour de la photographie documentaire en collaboration avec des femmes issues des communautés marocaines et migrantes. Les réalisations de ces actions artistiques sont montrées sous la forme d’expositions et d’ateliers de restitution entre mai et juin 2022. Du large corpus de plus de deux cents photographies produit par les membres du projet LAM, plusieurs thématiques émanant de leurs vies quotidiennes ont été dégagées, dont deux sont commentées en particulier dans ce présent texte.
LAM est un projet porté par l’association The Minority Globe en partenariat avec le Collectif des Communautés Subsahariennes (CCSM) et le Réseau des Femmes d’Immigrées et Epouses (REFIME), avec le soutien financier de l’Ambassade de France au Maroc.
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