Main basse sur l’art au Maroc? de Rim Laâbi

En tant qu’artiste plasticienne et chercheur en Art, docteur ès arts plastiques et sciences de l’art de la Sorbonne, professeur universitaire en histoire des arts et des idées, exposant, publiant et animant des conférences et ateliers d’arts plastiques et sciences de l’art au Maroc, et à l’étranger (Europe, Etats-Unis d’Amérique, Asie), aucune information, ni invitation, ni appel à candidature ne me sont parvenus au sujet de l’exposition « Maroc contemporain » prochainement à L’Institut du Monde Arabe à Paris. Il en est de même concernant l’exposition prévue dans le cadre de l’ouverture du nouveau Musée d’Art Contemporain à Rabat retraçant un siècle de création marocaine, de 1914 à nos jours ! De ce fait, je n’ai jamais transmis de dossier de candidature aux responsables de ces deux expositions. Je tiens à préciser que dans le cas où je dépose un dossier de candidature pour une exposition d’arts plastiques, mon intégrité morale m’interdit de m’insurger contre une commission qui ne sélectionne pas mon travail après son étude et évaluation. En outre, évidemment, je sais pertinemment qu’on ne peut pas prendre tout le monde ! J’accepte et peut donc comprendre que je ne participe pas à telle ou telle exposition à partir du moment où nous sommes informés démocratiquement du concept, et des modalités de sélection. Par ailleurs, permettez-moi de juger nécessaire l’énumération de qualités susdite, pour apporter un éclairage sur le manque de professionnalisme du monde de l’art au Maroc. En effet, il me semble qu’il se base davantage sur le sensible et le clientélisme que sur une rationalité rigoureuse qui vise un projet de société. Réellement, pratiquement tous les montages d’évènements culturels se déroulent dans des conditions regrettables. Il s’agit exactement d’absence d’information et de communication démocratique sur leur vision globale et fins escomptées, sur les conditions de participation, ainsi que sur les critères argumentés régissant l’élection des plasticiens. Ce constat, très loin de toute opinion improductive et règlement de compte m’invite heureusement, encore, à une réflexion approfondie sur « le monde de l’art au Maroc » : Les galeries prolifèrent et le Musée National d’Art Moderne et Contemporain se construit. Tout cela avec une quasi-inexistence de responsables formés et compétents ou les rares, gorgés d’appétit, de peu de conviction, et de mauvaise foi, nous assaillants de slogans et de formules de personnes engagées pour l’intérêt général sur les réseaux sociaux, par exemple. En outre, dans ces lieux, l’absence de public est criante, sauf d’un nombre limité de mondains, celui des vernissages qui, pour sa majorité, se rassemble autour des petits fours, dans le dessein d’investir son capital social. Aujourd’hui, y-a-t-il un véritable monde de l’art au Maroc comme initié formidablement à travers le travail esthétique laborieux du groupe Souffles et de personnes aussi éminentes qu’ El Maleh, Khatibi, Laâbi et bien d’autres déconstruisant le mythe occidental: « La peinture est venue dans la malle du colonialisme » si bien remis en question par le regretté critique d’art marocain El maleh ; un monde de l’art qui veille à ne pas tomber dans un mimétisme par rapport au monde de l’art contemporain occidental, non sans failles, le considérant comme le seul valable et légitimateur ? En effet, le Maroc décolonisé n’a pas surgi du néant. Au contraire, il est bien enraciné dans un héritage artistique immémorial : l’apport fondamental des arts de l’Islam, le fond berbère, saharien, sans compter les sédiments de la préhistoire. Est-ce que le monde de l’art prend en considération l’être marocain dans sa diversité, loin des clichés et du folklore, en plein inventions et échanges avec le monde ? De quel côté est le monde de l’art actuellement au Maroc? Du côté de la joie comme dit dans l’Ethique, Spinoza, qui augmente la puissance d’agir, un mieux vivre, ou de celui du pouvoir qui diffuse une certaine tristesse favorisant un cynisme vulgaire, c’est-à-dire, des artistes qui optent pour le pouvoir, l’institution, l’académisme des avants gardes, la facilité du néant et du copiage ou l’inscription de leur travail dans une mode porteuse, mais aussi la constitution de bandes superficielles et effrayées qui écartent, élisent les artistes comme bon leur semble dans l’incapacité de concertation collégiale et scientifique ! Sur quels critères véritablement se base ce monde de l’art pour décréter qu’une proposition d’artiste est digne d’être érigée en œuvre d’art? Je l’ignore véritablement. Un monde de l’art se prononce en fonction d’une pratique établie et par référence à des conventions résultant d’un savoir acquis et d’expériences esthétiques partagées qui se constituent à partir de débat, de confrontation, de concertation et donc de choix qui mettent en jeux des facultés de jugement, d’estimation, d’évaluation afin de déterminer leur validité et pertinence. Reste que, l’instauration d’un débat intersubjectif autour de l’art actuel, rendu indispensable, après l’effondrement de critères immuables et universels, commencera le jour où la philosophie, les sciences sociales de l’art et l’esthétique, recouvreront suffisamment de cohérence et de puissance théorique et critique pour faire front contre le discours prônant l’adaptation, la soumission au temps présent et le populisme scientifique et surtout pour s’atteler à la tâche difficile d’inventer des concepts inhérents à la singularité de notre culture. Toutefois, je suis convaincue qu’il existe heureusement, ceux, artistes, et autres de la sphère artistique, qui font leur travail, un travail de fourmi à la recherche constante des œuvres révélatrices capables d’ouvrir l’œil et l’esprit. Ce sont ceux qui résistent, aiment profondément et prennent soin de l’art en l’abordant par goût. Reste que l’efficacité de ces amateurs ne peut-être effective que par une volonté politique qui prend en considération l’art, capital immatériel, en tant que vecteur de développement. Pour ma part, je poursuis avec quiétude et nécessité mon aventure plastique articulée à la théorie. Puis, véritablement, depuis 10 ans, je suis sur le terrain, constamment en contact avec les enfants et les plus grands, dans les quartiers, différentes associations, écoles publiques et privées, au sein de l’institution universitaire, mais aussi dans les salles de conférence où je m’acharne avec passion et abnégation, non seulement à contribuer à la sensibilisation et à la formation aux arts plastiques et sciences de l’art, mais aussi, corollairement, tenter de générer un public fidèle pour les lieux de culture, producteurs de sens, susceptibles d’élargir notre horizon en nous arrachant à notre particularité. Ce que le philosophe Kant appelle : La pensée élargie par rapport à l’esprit borné. Enfin, nous attendons de voir donc, pour ce qui concerne la toute prochaine exposition « le Maroc aux mille couleurs » à L’IMA, si elle va être réellement à la hauteur de son titre, autrement dit, montrer au public, en grande partie parisien, le grand dynamisme de l’art du Maroc d’aujourd’hui à la fois dans sa diversité, dans ses avancées et ses réflexions, ou plutôt, l’exposition d’artistes marocains rescapés, et d’autres célébrés partout, qui ne dérangent pas les règles établis d’un monde de l’art contemporain, non sans dérives. Nous sommes impatients de savoir selon quelle idée les artistes élus, ont été choisis. Cela peut être pertinent comme cela peut être absurde. Evidemment, nous ne pouvons pas encore en apprécier la teneur car aucun texte théorique n’est encore produit ou mis à la disposition du monde de l’art. Nous attendons les concepts du Commissaire Général associé de cette exposition, Monsieur Moulim El Aroussi pour y voir clair, puisqu’il se présente, ni comme un critique d’art, ni comme historien d’art mais plutôt comme créateur de concepts. Rim Laâbi Juillet 2014

Actus d'ailleurs 2014/08/03

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